André Chassaigne, chronique d'une campagne électorale

Dans la cinquième
circonscription du Puy-de-Dôme, le député communiste André Chassaigne se
présente aux élections législatives pour la cinquième fois et dernière
fois. Récit de campagne.
La D906 entre Ambert et Arlanc a été tracée à la règle. La plus grande
ligne droite du département tronçonne le paysage en deux : d’un côté les
monts du Forez, de l’autre ceux du Livradois. C’est là où on accélère
et le ronflement des moteurs s’entend jusque dans la montagne. À peu
près à mi-parcours, il faut freiner en entrant dans le bourg de
Marsac-en-Livradois : 1458 habitants au dernier recensement et un
cabinet médical qui fait la fierté du village. Sauf qu’en 2020, l’un des
deux médecins est parti. Depuis, on lui cherche un remplaçant et dans
la salle des fêtes ce matin, on s’inquiète.
«
Pourquoi les gens d’ici doivent aller se faire soigner à la Chaise Dieu
? », interroge un homme. André Chassaigne écarte les bras : « Il faut
des mesures contraignantes. Quand je suis sorti de l’école
d’instituteurs, je devais 10 ans de travail à l’Éducation nationale. »
Il en a fait 30. Comme professeur de français et d’histoire-géo d’abord,
puis principal du collège de Saint-Amand-Roche-Savine, son royaume.
Encarté au PCF, il sera maire de la commune pendant 27 ans. Pour tout le
monde, André Chassaigne est devenu « le Dédé » ; un soir de juin 2002,
il est devenu le député.
"Je vous ai fait une promesse que j'ai pas tenue"
Vingt ans plus
tard, la moustache grisonnante a blanchi, la taille est restée
impeccable. Ce vendredi matin, comme tous les matins depuis un mois, le
député est descendu de sa Peugeot 308 noire, une caisse de postier sous
le bras. À grandes enjambées, il a foncé au fond de la salle, arrangé
quelques chaises en cercle et il a commencé : « Il y a 5 ans, je vous ai
fait une promesse que j’ai pas tenue. »
La petite assistance – ils sont 9 ce matin - sourit. Réélu
avec 63,55% des voix en 2017, il leur avait dit qu’il ne se
représenterait pas, que cette élection serait la dernière. Finalement,
c'est celle-ci, juré. À sa droite, Julien Brugerolles, le nouveau
suppléant, hoche la tête. La prochaine fois, ça sera son tour, sans
doute. En attendant, il apprend. « Vas-y Julien, présente-toi », fait
Chassaigne. À la salle : « C’est un fils de postier. » L’autre
s’exécute, bon élève, raconte le boulot à l’Assemblée – il était attaché
parlementaire pendant 15 ans – les propositions de loi présentées, les
lois adoptées, comme celle sur la revalorisation des pensions de
retraites agricoles - ils en sont fiers. « Nos discussions ici
nourrissent notre travail à l’Assemblée », répète Dédé. À la fin, il
demande s’il y a des chasseurs dans la salle, des mains se lèvent, il
tend un document. « ça c’est mon discours devant l’assemblée des
chasseurs » : il faut les rassurer. Puis il pioche dans la caisse jaune
et distribue des exemplaires de ses travaux parlementaires : « Tiens,
toi, tu es une ancienne instit, tu lis ».
« Moi si j’ai pas de médecin dans un an, ça va chier »
Puis, comme à chaque fois lorsqu’il s’en va, Dédé a dit
en rigolant : « Le lundi, je regarde les résultats commune par commune
et si c’est pas bon, ça va chier. » Il vise les 60% au premier tour dans
l’arrondissement – rural - d’Ambert. « Parce que de l’autre côté… »
Depuis 2012, la 5e circonscription du Puy-de-Dôme s’étend jusqu’en
bordure de Clermont-Ferrand. Là-bas, c’est la plaine de la Limagne, les
champs de céréales, et les problèmes de la ville. À Marsac-en-Livradois,
l’autre a répondu : « Moi si j’ai pas de médecin dans un an, ça va
chier ».
Et toi, t'étais chez Sanofi ?
Il est 14 heures passées quand André Chassaigne arrive à
Marat. « À cette heure-là, y’a que des retraités ! Tu fais pas la
sieste toi ? » Il s’assoit en riant et fait le tour de l’assistance.
Deux agriculteurs, une ancienne aide à domicile, un ouvrier… « Et toi,
t’étais chez Sanofi ? » En campagne, Dédé révise ses fiches : s’il ne
connaît pas le père, c’est la sœur, au moins le voisin, souvent le
patron. Il a l’habitude de dire : « Je connais les arbres généalogiques
et les races de vaches ». L’homme secoue la tête. Non, il n’était pas
chez Sanofi, mais celui qui est assis à côté de lui, oui.
Ici, la D906 suit les méandres de la rivière et en
contrebas se dresse la fierté du canton : EuroAPI, ex-Sanofi. En 1939,
l’usine de produits pharmaceutiques s’est installée dans une ancienne
filature pour éviter de tomber aux mains des Allemands. Roussel-Uclaf
est devenu Hoechst, puis Sanofi en 2004. Chaque changement de
propriétaire charrie la même crainte chez les employés : Et si le
repreneur ne voulait plus de nous ? L’usine emploie 800 personnes, 1000
avec les sous-traitants. Quand le groupe a annoncé il y a deux ans le
projet de création d’une filiale qui deviendrait autonome, tout le monde
a tremblé. Et le bras de fer a commencé. « On savait que cette cession
allait nous mettre en difficulté », raconte Paul, un grand type de la
CFDT. La première réunion a eu lieu en juillet 2020 – « On avait encore
les masques je me rappelle » - un an plus tard, il y a eu la grève, elle
a duré un mois et demi.
Du portail sud de l’usine au cabinet du Premier ministre,
André Chassaigne était là. « Le seul qui nous a accompagnés jusqu’au
bout, c’est lui », dit le syndicaliste. Dans la presse locale, devant
les caméras de la télé, le député a répété : « Ce site, c’est notre
poumon économique ». Dans la vallée, la grosse boîte a tiré les salaires
vers le haut. À Ambert et dans les villages alentour où le niveau de
vie de chacun se juge à la rénovation de sa maison, on dit que ceux de
Sanofi sont « des nantis ». On entend aussi : « Si y’a plus Sanofi,
qu’est-ce qu’il y a d’autre ici ? Y’a rien. »
Finalement, le gouvernement a pris 12% des parts dans la
nouvelle entité. Suffisant pour garantir les investissements nécessaires
et sauver les emplois ? Magali de la CGT se souvient de l’époque où la
vallée était surnommée « Corticoland ». « Il y a dix ans, on fabriquait
encore des corticostéroïdes 100% français. Aujourd’hui, tout vient de
Chine. Mais on pourrait le refaire », rêve Paul.
« On n’a jamais personne ici »
Dans un grand cahier, Corinne, l’autre assistante
parlementaire d’André Chassaigne, tient le compte du nombre de personnes
qui assiste à chaque réunion – 132 au total, le nombre de communes de
la circonscription. Elle fait le total chaque soir, et chaque fin de
semaine. Elle compare avec 2017. De toute façon, à Vertolaye – on dit «
Verto » -, « il n’y a jamais personne ».
À 15 heures, devant la mairie, Gérard est le seul à avoir fait le
déplacement. Depuis 1982, il est adjoint au maire - Chassaigne dit que
c’est « le type même du bénévole », Gérard rosit. Il n’a pas de question
à poser au député, mais veut faire une remarque : « J’étais en train de
regarder la télé ». C’était un reportage de France 3 Auvergne, quelques
jours plus tôt. Une femme est interrogée – il croit se souvenir qu’elle
venait de Billom – et déclare : « Moi je voterai pour celui qui ne dort
pas à l’Assemblée nationale ». Gérard a relevé la tête et pensé : «
Tiens, c’est quelqu’un qui est de mon avis ». Chassaigne se marre : «
J’ai récemment découvert que je suis le 4e député le plus actif en
matière d’environnement dans un classement, alors que j’ai jamais eu
l’impression de faire des actions singulières dans ce domaine… » Corinne
fait les gros yeux : « Allez, on est en retard ».
À Saint-Pierre-la-Bourlhonne, c’est déjà la montagne. 967
mètres d’altitude, 134 habitants. Dans la petite salle du conseil
municipal, ils sont 12. « On a des problèmes de réseau », commence une
dame et tout le monde se met à parler en même temps : « Y’avait une
antenne relais à Job. » « Ils l’ont coupé » « Ça a été vandalisé ! » « À
la disqueuse… » « Mais c’est l’opérateur qui doit porter plainte. » «
La coupure, à quand elle remonte », interroge Chassaigne. « C’était le
14 mars. » « Si ça traîne encore, vous nous dites ».
On passe aux retraites – trop faibles -, au prix du gasoil
– trop élevé - et au manque de médecins, encore. André Chassaigne prend
des notes. « Et le maintien à domicile ? », demande une autre dame,
vaguement inquiète. Sa voisine s’agace : « Vous cherchez des
aides-soignantes, ok, mais pourquoi les cassos qui ne foutent rien
gagnent autant qu’une aide-soignante qui débute ? » « Nous on est très
attachés à la valeur travail », rétorque Chassaigne, avant de plaider
pour des formations à destination des jeunes. Au fond, un homme bougonne
: « Faut les mettre au boulot ! Vous vous rendez compte, ils vivent
mieux que nous avec une petite retraite ! »
« À 900 euros, on profite pas »
Eric Dubourgnoux, l’ancien suppléant, est parti en
éclaireur à Saint-Gervais-Sous-Meymont. À 17 heures, il a envoyé un
message : « Il y a du monde et ils t’attendent ». Dans la salle des
fêtes du village, quatre rangées de sièges sont déjà pleines.
« Et Mélenchon ? », fait un homme au premier rang.
L’affiche de campagne d’André Chassaigne porte le logo de la Nouvelle
union populaire écologique et sociale (Nupes) en tout petit, ils l’ont
remarqué. « J’ai des divergences importantes avec Mélenchon », répond le
communiste. Il assure : « Je reproche aux députés de Macron d’être des
playmobil, je ne veux pas être un playmobil de Mélenchon. » Il voit que
la formule a fait mouche, il sourit. En attendant, il assume l’union : «
Il faut répondre à l’urgence sociale et la 5eme République est dévoyée.
On a un président de la République qui croit que c’est lui qui doit
tout diriger. »
« À 900 euros, on profite pas »
Eric Dubourgnoux, l’ancien suppléant, est parti en
éclaireur à Saint-Gervais-Sous-Meymont. À 17 heures, il a envoyé un
message : « Il y a du monde et ils t’attendent ». Dans la salle des
fêtes du village, quatre rangées de sièges sont déjà pleines.
« Et Mélenchon ? », fait un homme au premier rang.
L’affiche de campagne d’André Chassaigne porte le logo de la Nouvelle
union populaire écologique et sociale (Nupes) en tout petit, ils l’ont
remarqué. « J’ai des divergences importantes avec Mélenchon », répond le
communiste. Il assure : « Je reproche aux députés de Macron d’être des
playmobil, je ne veux pas être un playmobil de Mélenchon. » Il voit que
la formule a fait mouche, il sourit. En attendant, il assume l’union : «
Il faut répondre à l’urgence sociale et la 5eme République est dévoyée.
On a un président de la République qui croit que c’est lui qui doit
tout diriger. »
100 ans de mandat
Il est 21 heures. « Je suis un diesel moi, je suis jamais
fatigué ». André Chassaigne regarde le maire d’Olliergues, paternel : «
Toi tu seras comme moi. » Le maire, fier : « Je me souviens des termes,
tu m’as comparé à un chien de ferme qui t’attrape le mollet et qui lâche
pas ». Chassaigne : « Oui, c’est bien une de mes formules, ça. »
Dans deux ans, s’il est réélu, il fêtera ses 100 ans de
mandat. Il additionne : 45 ans d’élu municipal, 25 ans de conseiller
général, 8 ans de conseiller régional et 20 ans à l’Assemblée nationale.
« Ça fait 98 ans. » C’est un député LREM qui lui a fait remarquer - «
Ils sont drôles, ces députés du nouveau monde » -, au cours d’une visite
en Pologne. S’adressant au chargé de mission de l’ambassade comme on
évoquerait une coutume ancestrale : « Saviez-vous qu’en France, il y a
des hommes politiques qui ont un siècle de mandat ? ». Chassaigne répète
: « Un siècle de mandat. Et ben mon neveu. »
Pour son 5e mandat, André Chassaigne a frôlé les 70 % après avoir fait
plus de 63 % en 2017. Un résultat confortable pour l’élu Nupes qui
regrette toutefois la faible participation.