Cinéma. Un conte en baie de Somme rythmé par internet et la musique de Arno
La réalisatrice Patricia Bardon continue à explorer les sentiments
amoureux. Une histoire joliment bâtie peut-être moins légère qu’il n’y
parait.
« C’est donc un amoureux qui parle et qui dit… » Ainsi commence «
les « Fragments d’un Discours Amoureux » de Roland Barthes. Un texte qui
a fortement marquée la réalisatrice Patricia Bardon. Au point de s’en
inspirer ou plutôt, à partir de l’idée de base, de laisser cheminer des
personnages immergés dans un décor choisi puis de s’en extraire afin de
suivre leurs évolutions et leurs interférences amoureuses. Elle s’y
était déjà essayé avec « 2x2 Versions de l’amour », un film de 20mn
tourné en quatre écrans en 2012. Elle y revient aujourd’hui avec « Nana
et les filles du bord de mer » sur un ton plus badin, plus détendu. Dans
ce long-métrage (le deuxième seulement de Patricia Bardon depuis 1991
mais qui a néanmoins réalisé des formats différents) les protagonistes
sont plus insouciants, plus gamins. Ils ont encore l’âge du possible,
cette période de l’existence où rien ne compte vraiment. Où les actes
n’apparaissent pas toujours comme définitif.
Soit Nana (Sofia Manousha), une jeune femme qui explique en guise
de prologue, comme le ferait un enfant dans une cour de récréation après
avoir été grondé: « C’est Mathieu qui a commencé ». Il s’agit donc, dès
le départ, d’une amoureuse qui parle et qui dit. Mathieu (Ghuilhem
Valayé) c’est son mec qui se pare d’une réputation de « tombeur de ces
dames». Nana veut le prendre à son propre jeu. Un jeu qui se déroule sur
Internet au gré de ces sites de rencontres qui font florès chez les
jeunes. Sorte de bals masqués des temps modernes où les pseudonymes
servent de masques et les phrases d’une simplicité absolue remplacent
les déclarations imagées et enflammées d’antan. Le bourgeois gentilhomme
de Molière passerait sur ces sites pour un fin poète si les beaux yeux
de la marquise caressant un écran d’ordinateur le faisait mourir.
Un conte presque musical
Mais le sexe est plus facile à maitriser que les sentiments. Nana
va d’autant plus s’en apercevoir que les filles du bord de mer,
essentiellement Anne (Héloïse Roth) et Kate (Laure Millet) apparaissent
toujours comme des lutins facétieux qui toucheraient les aiguillages,
lucioles indiquant des chemins pas toujours fréquentables mais tellement
plus drôles. Et il y a Damien (Grégoire Isvarine), l’amoureux un peu
transi, qui, jusque là, n’a jamais osé déclarer sa flamme à Nana mais va
trouver le moyen de parler, caché derrière le paravent
Internet.Patricia Bardon nous offre un conte joliment bâti (on pense
même à Eric Rohmer) qui se déroule dans la petite ville du Crotoy dans
baie de Somme (où elle avait déjà tourné « 2 X 2 versions de l’amour» et
« Maria Ivanovna, de l’Oural à la baie de Somme »), décor presque
suranné parfois et si étrange en même temps avec ces maisons colorées,
où la vie est comme la marée, avec des hauts et des bas. Ce conte est
presque musical. « Les filles du bord de mer », c’est bien évidemment
d’abord la chanson d’Adamo dont on perçoit la voix avant d’entendre
celle de Arno. Sa musique rythme le film par petites touches, des bulles
sonores qui éclatent et donnent bizarrement aux différents chapitres de
l’histoire une dimension plus triste, plus profonde malgré quelques
scènes loufoques. Finalement c’est ce qui fait la force du film: une
légèreté dans le propos qui accompagne la réalité des personnages
rehaussé d’une pointe de gravité pour éviter tout flottement, donner du
corps au récit dans lequel nous entraine Patricia Bardon avec bonheur.
♦ « Nana et les filles du bord de mer » de Patricia Bardon. Musique de Arno. France 1h18