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Le 16 juin, Farida C. était violemment interpellée lors de la manifestation des soignants, à Paris. Les faits qui lui sont reprochés : « outrage », « rébellion » et « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité temporaire de travail ». Son procès aura lieu le 25 septembre prochain. Elle risque 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende. Avant de partir quelques jours pour tenter d’oublier cette arrestation traumatisante, l’infirmière a accepté de nous raconter en détail ce qu’elle a vécu.
Il y a exactement dix jours, Farida a cru vivre ses derniers instants : « Au moment où j’ai senti le genou du policier sur ma nuque, tout son poids sur moi, je me suis dit : “Ma petite Fa, tu vas mourir.” J’avais en tête les images de la mort de Cédric Chouviat, de George Floyd… J’ai pensé que c’était mon tour. J’ai vu ma vie défiler. Je pensais à ma mère, à mes sœurs en Algérie, à mes enfants, à qui je n’avais pas dit au revoir…  », témoigne, en larmes, l’infirmière de 52 ans, dont les images de l’arrestation violente, le mardi 16 juin, ont fait le tour du monde.

« Je suis une femme forte, j’élève toute seule deux grands enfants. Aujourd’hui, j’ai du mal à supporter que ce soient eux qui me protègent. J’ai envie que les choses reprennent leur cours normal ! »

« À chaque fois que j’évoque ce cauchemar, je tremble », s’excuse-t-elle, en répétant : « J’ai eu tellement peur, j’ai eu tellement peur… » Physiquement, les traces des brutalités ont elle a été victime ont presque disparu : seuls quelques bleus sur le corps, une très légère trace sur le haut du visage et une croûte sur le coude trahissent ce qu’elle a subi. En revanche cette arrestation traumatique et la garde à vue qui a suivi continuent de la hanter. Elles ont transformé sa vie. « Je suis une femme forte, j’élève toute seule deux grands enfants. Aujourd’hui, j’ai du mal à supporter que ce soient eux qui me protègent. J’ai envie que les choses reprennent leur cours normal ! »

Comme une bête traquée

Mais pas en se taisant. Si Farida a décidé de nous livrer sa version des faits, c’est parce qu’elle a conscience qu’elle se trouve pile à l’intersection de deux luttes essentielles : celle pour la revalorisation des soignants et de l’hôpital public et celle contre les violences policières. Quelques jours avant d’aller manifester avec ses collègues de l’hôpital Paul-Brousse, de Villejuif, Farida s’était rendue place de la République à l’appel du comité Adama-Traoré et d’associations antiracistes. « Je ne me considère pas comme une militante, mais je suis de toutes les manifestations. Seulement, je doute de plus en plus de la capacité de nos dirigeants à entendre nos demandes. J’en ai marre de ne recevoir que mépris et gaz lacrymogènes quand je descends dans la rue exprimer une colère légitime », constate, amère, Farida. L’infirmière se dit écœurée par la façon dont s’est déroulée la fin de la manifestation des soignants, ce fameux 16 juin. « À un moment, alors que tout se passait bien, les gaz lacrymogènes ont commencé à fuser. Comme si les policiers sifflaient la fin de la récré et nous disaient : “Maintenant, mes petites (notre profession compte 86 % de femmes), vous vous êtes bien défoulées, alors il faut rentrer chez vous faire la soupe !” À ce moment-là, j’ai senti monter en moi la pression et j’ai décidé de partir. »

« Ils se sont jetés sur moi, m’ont mise au sol et traînée par les cheveux. J’ai avalé de la boue. Terrorisée, je ne sentais même pas la douleur. Je ne pensais qu’à parvenir à respirer. »

C’est en tentant de rejoindre le métro pour rentrer chez elle, à Ivry, que Farida se rend compte qu’elle est cernée de toutes parts. « Je me suis alors approchée d’un cordon de policiers, raconte-t-elle. J’ai enlevé ma blouse et l’ai jetée à leur pied, en demandant qu’ils me laissent passer. J’ai essuyé un refus catégorique de leur part. J’ai donc ramassé mon vêtement de travail, assez énervée, et j’ai rejoint le groupe d’une vingtaine de personnes qui se trouvaient nassées avec moi. C’est dans ce contexte que j’ai lancé des graviers ramassés par terre et que je me suis fendu d’un doigt d’honneur en direction du mur d’hommes, équipés de casques et de boucliers, qui nous faisaient face. » Ce geste, Farida n’aurait jamais pu imaginer qu’il aurait de telles conséquences. « Ils ont envoyé des tanks pour écraser une fourmi », résume celle qui, durant la charge qui l’a ciblée, s’est ­effectivement sentie comme une bête traquée.

Huit heures sur un banc, menotée

« Ils se sont jetés sur moi, m’ont mise au sol et traînée par les cheveux. J’ai avalé de la boue. Terrorisée, je ne sentais même pas la douleur. Je ne pensais qu’à parvenir à respirer, c’est pour cela que j’ai réclamé ma Ventoline inlassablement. » De ces longues minutes pendant lesquelles les policiers s’acharnaient sur elle pour la menotter, Farida garde une image : « Celle du regard d’un homme, qui ne m’a pas lâché des yeux, et que j’apercevais dans l’interstice laissé par les jambes des policiers qui m’encerclaient. C’était comme un fil qui me raccrochait à mon humanité alors qu’on me traitait comme un animal. »

« Là, j’ai eu un moment de panique. Je ne savais pas où ils m’emmenaient. Vu comment ils m’avaient traitée en public, je me suis dit que quand je serai seule avec eux, ils allaient me tuer. »

Une fois menottée, l’infirmière est emmenée à pied, et au pas de course, au commissariat du 7e arrondissement, situé quelques dizaines de mètres plus loin. « Là, j’ai eu un moment de panique. Je ne savais pas où ils m’emmenaient. Vu comment ils m’avaient traitée en public, je me suis dit que quand je serai seule avec eux, ils allaient me tuer », confie la mère de famille, qui n’avait jamais eu affaire à la police.

Ce ne fut, heureusement, pas le cas, mais les heures passées au commissariat du 7e, puis du 1er arrondissement, où elle a été transférée dans la nuit, ont été très pénibles. Et humiliantes. « J’ai passé huit heures sur un banc, auquel j’étais menottée. Je pensais à mes enfants, à leur inquiétude… » Le fait de pratiquer assidûment le yoga a été d’un grand secours à Farida durant ces heures de garde à vue : « Je relativisais, en me disant que j’étais vivante, que j’allais forcément sortir. Que ce n’était pas comme si on venait de m’annoncer un diagnostic de cancer… », se souvient la soignante qui, dans son métier, vit souvent l’horreur au quotidien.

« J’irai manifester avec ma blouse maculée de sang et de boue »

Cadre dans un service de gériatrie, elle a vu ses patients « tomber comme des mouches », au pic de l’épidémie de Covid-19. Elle-même a été atteinte d’une forme légère de la maladie, mais sans pour autant s’arrêter de travailler. Un courage dont nombre de soignants ont fait preuve durant cette crise sanitaire. « La solidarité, qui est la nôtre en général, a été encore plus forte face aux ravages du virus. On était les seuls à pouvoir apporter du réconfort aux patients en fin de vie. Alors on n’a pas compté nos heures, on a rajouté du soin dans le soin », explique Farida, dont le regard s’illumine à l’évocation de son métier.

Pur produit de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), la soignante y est entrée comme auxiliaire de puériculture, avant de gravir les échelons grâce à la formation professionnelle, devenant infirmière, jusqu’à assurer aujourd’hui une fonction d’encadrement. « Ce type de parcours ne serait plus possible aujourd’hui, car les personnels ne peuvent plus quitter leur poste pour se former, faute de remplaçant », regrette Farida, bien décidée à continuer à protester contre la faillite organisée de l’hôpital public. « J’irai manifester avec ma blouse maculée de sang et de boue, elle est emblématique de la manière dont on traite l’hôpital et les soignants », clame cette passionnée qui, en vingt ans passés à l’hôpital public, a observé la dégradation progressive de ses conditions de travail.

Le soutien des collègues

Malgré ce triste tableau, ce qui réconforte aujourd’hui Farida, c’est le soutien et la reconnaissance de ses collègues et responsables. « Le directeur de l’hôpital m’a appelée pour me dire que, lorsque je passerai le concours de cadre, les seuls critères qui compteront seront ceux de mes compétences et de mon engagement », sourit, soulagée, l’infirmière, qui craignait que sa mésaventure lui porte tort professionnellement. C’est d’ailleurs avec sérénité qu’elle envisage le procès pour « outrages » et « violences sans interruption totale de travail (ITT) » sur personne dépositaire de l’autorité publique qui l’attend le 25 septembre. « Je vais leur dire que si un cordon de policiers suréquipés a peur d’un caillou lancé par une femme de 1 m 55, alors moi, j’ai peur pour mon pays… », lance Farida qui a, de son côté, déposé une plainte pour usage disproportionné de la force.

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