Coronavirus. Les oubliés du confinement
Certes,
le gouvernement a suspendu les expulsions jusqu’au 31 mai prochain.
Mais ça ne suffira pas, loin de là. Alors que le confinement est
désormais devenu la règle pour éviter la propagation de l’épidémie, que
vont faire les familles qui s’entassent dans des taudis ou des
bidonvilles ? Quelles solutions pour les habitants menacés de coupures
d’énergie ? Comment les plus modestes, qui consacrent une large part de
leur budget au loyer, vont-ils faire face quand leurs revenus
baisseront ? Comment confiner toutes celles et tous ceux qui dorment
dans la rue ? Qu’en est-il de ces femmes, ces hommes et ces enfants
privés de liberté dans des centres de rétention administrative ? Sans
oublier les plus âgés, qui vont se retrouver coupés du monde ? Pour
résumer, comment cela va-t-il se passer pour toutes les personnes à
faibles ressources ?
Cette crise sanitaire sans précédent révèle
l’insuffisance des moyens mis en place jusqu’à aujourd’hui par l’État
pour protéger les plus vulnérables. Emmanuel Macron appelle à faire
preuve « d’esprit solidaire et de sens des responsabilités ». Prenons-le
au mot. Il ne suffit pas de prendre des mesures à caractère économique,
il va falloir des mesures sociales. Des mesures pour protéger et
prendre soin des plus fragiles socialement, qui sont aussi ceux parmi
les plus exposés au virus. Car confrontés au manque de ressources pour
se préparer et se protéger du Covid-19, beaucoup font face à un risque
plus élevé d’être contaminé et donc de répandre le virus.
Mal-logement Une violence sociale renforcée par l’épidémie
À l’heure où chacun doit rester chez lui pour une durée indéterminée,
les familles mal logées sont exposées à des problèmes de santé
physiques et mentaux.
«Les effets du mal-logement sont démultipliés
en période de confinement », souligne Manuel Domergue, directeur des
études de la Fondation Abbé-Pierre (FAP). Pour les familles qui vivent
en situation de surpeuplement ou en habitat indigne, rester des semaines
enfermé est lourd de conséquences. « Habiter dans ces conditions a des
conséquences directes sur la santé », rappelle Manuel Domergue. Le
surpeuplement a des effets avérés sur le développement des petits
enfants et sur la réussite scolaire des plus grands. Dans l’habitat
insalubre, sans même parler des cas de saturnisme, le manque d’aération
et l’humidité entraînent des maladies respiratoires. C’est déjà vrai en
temps normal. Ce le sera d’autant plus en étant bloqué 24 heures sur 24.
Les risques domestiques, déjà nombreux dans ces logements, sont eux
aussi amenés à se démultiplier.
Le mal-logement prolongé met aussi à
rude épreuve l’équilibre psychologique des habitants. « Pour l’instant,
ça tient encore, mais dans quelque temps certaines familles vont
exploser », prévient Jean-Baptiste Eyraud, de Droit au logement (DAL).
Source de tensions entre voisins, la surexposition au bruit, inévitable
dans les appartements mal isolés phoniquement, va s’accroître avec le
confinement. Dans les logements surpeuplés, les relations
intrafamiliales, déjà difficiles, vont être mises à rude épreuve. Le
risque d’accroissement de la violence est réel. « Non, le foyer n’est
pas pour tout le monde l’endroit du confort ou du réconfort. Le foyer,
déjà évité par les femmes victimes de violences conjugales en temps
normal, devient une prison en période de confinement », a prévenu hier
le collectif Collages féminicides.
Réquisition d’hôtels vides et moratoire sur les loyers
Le mal-logement est aussi un vecteur de contamination. « Les habitats
indignes, surpeuplés, précaires et les gens à la rue sont des lieux de
propagation de l’épidémie. Nous allons payer des années d’incuries de
politique du logement », prévient Jean-Baptiste Eyraud. Comment, par
exemple, respecter les gestes barrières dans des bidonvilles où les
familles vivent entassées et où il n’y a même pas l’eau courante ? « Ce
sont aussi des publics où l’information est compliquée à diffuser »,
s’inquiète Manuel Domergue. Pour pouvoir loger et isoler ces publics,
les associations appellent à une réquisition d’urgence des hôtels vides.
Des négociations dans ce sens entre le gouvernement et les hôteliers
auraient démarré.
Les inquiétudes concernent aussi l’après-crise. Le
12 mars, la trêve hivernale, qui interdit les expulsions locatives, a
été prolongée jusqu’au 31 mai. Ce répit devrait, selon le ministère du
Logement, protéger 4 000 à 5 000 familles. Mais la mesure ne répond pas à
ceux que la crise sanitaire appauvrit. « Si tout ça dure, les familles
qui ont déjà du mal à payer leur loyer ne vont plus y arriver. Elles
vont accumuler les impayés », prévient Eddie Jacquemart, de la CNL
(Confédération nationale du logement). Redoutant une vague d’expulsions
locatives après la crise, les associations appellent le gouvernement à
prendre des mesures, dont l’arrêt de la suspension de l’APL (aide
personnalisée au logement) en cas d’impayés. Certaines, comme la CNL,
veulent un moratoire sur les loyers. La FAP propose la création d’un
fonds d’indemnisation ciblant les locataires dont les revenus vont
s’effondrer. Un effort financier, chiffré à 200 millions d’euros, pour
empêcher quelques centaines de milliers de personnes de perdre leur
toit.
Précarité « On n’a plus rien à manger »
Ahou (1) fait partie de ces milliers de familles monoparentales qui
vivent dans la capitale. Depuis hier, elle panique. « Je n’ai pas un sou
pour acheter à manger. D’habitude, je me débrouille avec les Restos du
cœur ou d’autres associations, mais là, comment je vais faire ? »
D’autant plus que le confinement n’est pas propice au système D et à la
solidarité concrète. « Hier, j’ai anticipé, je suis allée voir une amie
qui a accepté de me prêter 5 euros. J’ai cru que j’étais sauvée pour
quelques jours. Mais quand je suis allée au supermarché, il n’y avait
plus de pâtes, plus de riz… »
Sa voix s’étrangle. Elle a 36 ans, « mais
j’en parais 50 », lâche-t-elle, épuisée par les épreuves. Avec une carte
de séjour de deux ans obtenue de haute lutte, cette Ivoirienne se bat
seule depuis son arrivée en France pour offrir un avenir à son fils de 9
ans, scolarisé dans une école parisienne. Brahima, un grand gaillard de
1,60 m qui aime le foot et les copains, pendant trois semaines confiné
dans un studio d’hébergement d’urgence d’à peine 20 mètres carrés ? « Et
encore, on a de la chance, si on était encore dans l’hôtel… »
« L’hôtel », c’est celui du Samu social, avec une chambre de 8 mètres
carrés dans laquelle elle et son fils ont vécu pendant huit ans, sans
cuisine, sanitaires sur le palier. « Aujourd’hui, dans le studio, je
peux cuisiner, mais on n’a rien à manger ! » Quant à « l’école à la
maison », là encore, cela va relever du parcours du combattant. « Je
n’ai pas d’ordinateur. Mais les maîtresses ont donné des consignes dans
les cahiers, alors je vais le faire travailler comme je peux », explique
celle qui était institutrice en Côte d’Ivoire. Ahou est loin d’être la
seule dans cette situation : « Je ne suis pas la plus à plaindre.
Je connais certaines femmes qui ont encore moins que moi, et doivent gérer 4 enfants dans des appartements minuscules. » Animatrice vacataire à la mairie de Paris, avec seulement quelques heures de travail au compteur, son « salaire » oscille chaque mois entre 100 et 300 euros. Alors, elle s’inquiète aussi pour le « jour d’après ». « J’ai cru comprendre que les vacataires ne seraient pas payés. Il faut pourtant qu’on trouve des solutions de solidarité, sinon on ne va ne pas s’en sortir… Il ne faut pas que l’État nous laisse tomber. »
(1) Le prénom a été changé