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En filmant Cyrille avec humanisme et en temps réel, Rodolphe Marciano, cinéaste solitaire, dépeint la condition tragique de nombre d’agriculteurs. Un métier qui connaît un suicide tous les deux jours. Entretien. Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes Rodolphe Marconi France, 1 h 25

La France est la première puissance agricole d’Europe, dont le chiffre d’affaires représente quasiment 20 % de la production européenne, mais notre pays connaît aussi un suicide d’agriculteur tous les deux jours. Au-delà des chiffres, il y a des hommes, et parfois des cinéastes qui s’émeuvent et nous alertent. Humainement et avec véracité. C’est le cas de Rodolphe Marciano qui, avec sa caméra trafiquée afin de pouvoir filmer seul, a vécu quatre mois durant au rythme de la vie inimaginable de Cyrille, jeune homme totalement voué vingt heures sur vingt-quatre à ses vaches, leur traite, la fabrication à la main du beurre en baratte, et dans l’impossibilité non seulement de se verser un salaire, mais d’assurer le moindre remboursement de ses dettes professionnelles. Cyrille vit au cœur de l’Auvergne dans un univers tragique ; sans espoir de salut ; que le cinéma a adouci, lui permettant sûrement d’éviter le pire.

Angoumoisin de naissance, Rodolphe Marconi s’est éduqué au cinéma à la Coursive de La Rochelle – où il y avait un lycée avec une section théâtre –, en découvrant l’œuvre de Cassavetes ou de Doillon. Monté à Paris pour être acteur, il décide finalement de réaliser un film court : Stop se retrouve officiellement à Cannes et rafle le prix du jury en 1999. Il présente alors un dossier pour une résidence à la Villa Médicis et réussi le concours. Il y écrit le scénario de son premier long métrage, Défense d’aimer, qu’il réalise, puis tourne en 2001 Ceci est mon corps, avec Jane Birkin, Louis Garrel et Annie Girardot, suivi du Dernier Jour (2004), avec Nicole Garcia et Gaspard Ulliel. « Si je réalisais un documentaire, a-t-il déclaré par la suite, ce serait le portrait d’un personnage comme Françoise Sagan ou Karl Lagerfeld. » Lagerfeld confidentiel a vu le jour avec grand succès en 2008. Et, toujours avec le même regard humaniste, aujourd’hui, c’est Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes qui sort sur les écrans.

En visionnant Cyrille, agriculteur… il est clair que ce qui vous touche avant tout est l’humain, le décor vous importe peu. Votre film est la tragédie d’une solitude, celle de Cyrille, qui se confronte à la vôtre, celle d’un cinéaste…

Rodolphe Marciano C’est absolument cela. Dans la vie, je ne m’attache pas au décorum et je le paye cher. Il est sûr que mon film est la rencontre de deux solitudes, vous êtes la première à avoir compris cela. C’est la solitude qui fait crever Cyrille. Quand je suis arrivé en Auvergne, je n’avais parlé qu’une seule fois avec Cyrille. C’est alors que j’étais sur une plage de l’île de Ré que j’ai vu ce jeune homme qui ne se baignait jamais. Des journées entières, les bras le long du corps, de l’eau jusqu’aux genoux, il ­regardait la mer. Au bout de trois jours, je lui ai dit qu’il devrait y aller, que l’eau n’était pas froide. En parlant avec lui, j’ai compris qu’il venait à la mer pour la première fois de sa vie et ne savait pas nager. Cela m’a complètement flingué. Il m’a touché par son récit. Je ne pouvais pas concevoir qu’il existe quelqu’un qui se lève à 6 heures tous les matins après s’être couché à 2 heures dans la nuit, travaille tous les jours de la semaine tout en ne pouvant se verser aucun salaire. Cela me paraissait insupportable, tragique et plombant. Il faut dire que Cyrille coche toutes les cases. Le jour de sa naissance, son petit frère meurt d’une tumeur au cerveau et lui est mis en nourrice immédiatement. Il ne voit pas sa mère les premiers mois de sa vie, alors que c’est le moment où le besoin d’une maman se fait le plus ressentir. Je n’avais aucun rapport à l’agriculture, mais je sentais que je me devais de partager l’expérience de Cyrille, de faire transpirer sa vérité, en lui consacrant un film.

Lorsque Cyrille a repris la ferme familiale, sa maman est morte, ses frères sont partis et son père est démotivé. De surcroît, Cyrille est homosexuel…

Rodolphe Marciano Toutes les nuits, il regarde sur son portable des profils de jeunes gens habitant à proximité. Une proximité d’au mieux 50 kilomètres. Comment faire alors qu’il se couche à 2 heures du matin pour se lever quatre heures plus tard ? C’est à l’aide de cette application qu’il a rencontré Marc, l’ami qui l’a emmené à l’île de Ré, où il a pu vivre quelques jours de vacances pour l’unique fois de sa vie. Marc est une épaule à qui il peut raconter son unique amour perdu. En principe, je partais filmer Cyrille pendant trois semaines, en fait je suis resté quatre mois. Quand sa situation a mal tourné, j’ai réalisé que je ne pouvais pas partir. La dramaturgie du film s’est installée d’elle-même et j’étais dedans.

Comment avez-vous trafiqué votre caméra pour tourner votre film seul ?

Rodolphe Marciano J’ai utilisé un appareil photo que j’ai mis en mode caméra. J’ai réussi à installer dessus des anciens objectifs Zeiss de mes Rolleiflex, car je filmais tout le temps en lumière naturelle, sans projecteur. Ainsi, je pouvais travailler comme avec un appareil photo, en réglant le diaphragme à ma convenance. C’était un certain travail, mais au moins j’étais libre. Je ne pouvais pas me permettre de faire rejouer une scène. L’émotion devait passer avant la netteté du plan. Je suivais Cyrille à son rythme, en m’y adaptant. Je n’ai jamais triché. Quand il achète des fleurs pour les mettre sur la tombe de sa mère, je l’ai filmé en temps réel durant son choix chez le fleuriste, jusqu’à ce qu’il déplie lentement ses billets au moment de payer.

Cyrille vit dans un temps naturel, un temps à lui…

Rodolphe Marciano Il en est même prisonnier malgré lui, car il n’en a jamais connu d’autre. Ce qui m’a touché quand il m’a raconté son quotidien sur la plage est qu’il ne se plaignait pas, il ne montrait aucune amertume. Cela me faisait penser dans mon for intérieur que quelque chose était injuste. Je ne pouvais pas l’accepter et j’ai voulu réaliser ce film pour partager cette injustice. Je n’avais aucun plan concernant ce que je voulais tourner. Le plus important reste que mon film montre une vérité, qu’il est le témoignage d’une personne. Mais, lorsque nous savons que, tous les deux jours, un agriculteur se suicide, Cyrille est loin d’être un cas unique.

Pensez-vous que la présence d’une caméra peut adoucir la vie ?

Rodolphe Marciano C’est fou ! Cyrille a dit à Marc, son meilleur ami, que si je n’avais été présent durant ces temps difficiles avec ma caméra, il se serait flingué. Maintenant, il vit toujours dans la maison en Auvergne avec son père. Depuis décembre dernier, les vaches sont parties. Il doit vendre le bâtiment, mais, au rythme d’une visite par mois, cela ne se fera que sur le long terme. Et la somme de la vente ne lui permettra pas de rembourser ses dettes. Il est inscrit à Pôle emploi et sa reconversion est complexe. De toute façon, il est en banqueroute permanente. Je l’appelle tous les matins, car le soir il n’a pas le droit de téléphoner, sa chambre étant trop près de celle de son père. Il me raconte qu’il commence juste à sortir, mais aller seulement prendre un café quelque part est quelque chose qu’il ne sait pas vraiment faire…

Entretien réalisé par Michèle Levieux pour l'Humanité

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