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Longtemps journaliste pour le Nouvel Observateur, Jean-Paul Dubois a pendant vingt ans sillonné les États-Unis, réservoir inépuisable d’histoires publiées sous forme de chroniques dans Jusque-là tout allait bien en Amérique et L’Amérique m’inquiète. Auteur d’une vingtaine de romans, dont Une année sous silence, Kennedy et moi, Une vie française (prix Femina 2004), il publie Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, l’histoire de Paul Hansen, superintendant dans un immeuble de Montréal. Incarcéré pour avoir agressé un gestionnaire sans foi ni loi, il fuit son quotidien en dialoguant avec ses morts : son père, un pasteur d’origine danoise, sa compagne, Winona, et sa petite chienne, Nouk.

Quel est le point de départ de cette histoire ?

Jean-Paul Dubois : Le livre est né d’une rencontre avec le superintendant d’un immeuble, au Québec, un homme exceptionnel. J’ai été fasciné par son humanité, sa bonté, son intelligence. Je vois cet immeuble comme une ville, un monde fermé avec des gens confrontés au vieillissement, aux maladies, à des luttes internes. Cet homme régule tout, les problèmes mécaniques comme les problèmes humains. Il connaît l’histoire de chacun, aide les malades, s’occupe du ravitaillement quand le verglas empêche les gens de sortir. Quand arrive ce nouveau gestionnaire, un cost killer payé pour que l’immeuble soit rentable, sans se préoccuper des humains, ce fonctionnement solidaire bascule. Ce nouveau mode de gestion produit une refonte culturelle, économique, sociale et relationnelle qui modifie un monde dit ancien. Ce qui arrive marque le commencement de l’exclusion et de la ruine d’un certain nombre de gens, avec les subprimes. Quand mon personnage est mis dehors parce que son chien est allé dans le jardin et parce qu’il a assisté pendant ses heures de travail à l’enterrement d’un ouvrier tombé du toit, il mord son patron et lui arrache un morceau d’épaule. C’est pour lui la seule chose à faire face à l’injustice et au mépris qui s’installe. Quand il est emprisonné, il ne regrette rien, parce que cet acte était nécessaire.

Le motif de l’enfermement est-il le point fixe qui permet de raconter la vie de votre personnage ?

Jean-Paul Dubois : Oui, mais je voulais aussi raconter la prison, la promiscuité, l’insalubrité, le manque d’hygiène. C’est la vie réelle. Dans le roman, la prison est comme un intestin qui digère les personnages. Ils ne peuvent plus se protéger du froid, la vermine et les rats prolifèrent, la violence est quotidienne. Je suis allé dans des prisons, en France et aux États-Unis : il n’y a pas d’isolation phonique, la moindre porte fait un bruit terrible et, quand un détenu crie, on a l’impression d’entendre un animal qu’on égorge. La situation dans les prisons en France est effrayante, honteuse. Aux États-Unis, je suis allé dans les quartiers des condamnés à mort, dans des prisons de haute sécurité enterrées pour éviter les évasions. À San Quentin, en Californie, on donnait aux visiteurs des consignes en cas d’émeute ou de bagarre : à deux coups de sifflet, il fallait se coucher. Je n’ai jamais oublié. Mes personnages ne s’en sortent pas si mal, ils sont paisibles et arrivent à partager le peu qu’ils ont.

En prison, Paul Hansen s’abstrait de son quotidien en dialoguant avec ses morts, d’où vient cette idée ?

Jean-Paul Dubois : Nous vivons avec nos morts, même si ce n’est pas culturellement établi chez les Occidentaux ou les Européens. Je vis aussi avec mes chiens morts. Dans le roman, cette proximité prend une importance encore plus grande parce que la compagne du narrateur, Winona, est une Indienne algonquine. Les Indiens enterrent leurs morts avec leurs outils, je trouve cette idée superbe. C’est touchant, enfantin, rassurant, comme si le mort partait en voyage avec son sac pour continuer, avec sa visseuse perceuse, à faire des chantiers ailleurs. J’ai lu les travaux de l’anthropologue Serge Bouchard sur les Indiens du nord du Québec. Il traverse tout le Canada avec un petit camion rouge et raconte leur vie. Ils ont une élégance vis-à-vis de la mort, de la nature qui n’est pas un concept abstrait mais une réalité. À la fin du livre, quand Winona meurt et que sa tribu veut la récupérer, Paul dit : je vous donne le corps et je garde le reste. Il conserve la mémoire de toute une vie, ce qui est assez indien.

Vous racontez aussi la très belle histoire d’un homme qui traverse le Québec sur un tracteur, du Pacifique à l’Atlantique, un peu comme dans Une histoire vraie, le film de David Lynch…

Jean-Paul Dubois : Tout est vrai. J’ai rencontré cet homme qui, dans la réalité, n’est pas indien. Il a passé sa vie à transporter des marchandises dans tout le Canada et n’a quasiment pas vu sa famille jusqu’à l’âge de 75 ans. Quand il a arrêté son travail, il a dit à ses enfants et à sa femme : « Je vais faire quelque chose pour moi. » Il est parti avec son tracteur, un John Deere que j’ai en photo à la maison. Il a mis les roues arrière à Vancouver dans le Pacifique et a traversé le Québec jusqu’à mettre les roues avant dans l’océan Atlantique, à Saint John’s. Pendant cinq mois, il a traversé seul un territoire immense qui fait cinq fois la France. La première chose qu’il m’ait dite, c’est : « J’ai voulu savoir à quoi ressemblaient ce pays et les hommes qui le composaient. » C’était trop beau pour ne pas le raconter. Il s’appelait Ted Fleeracker et habitait un village de 50 habitants à la frontière de l’Ontario et du Québec. Il m’a emmené dans sa grange et m’a montré son tracteur, qui semblait sortir d’un livre de Steinbeck. Sous une bâche, se trouvaient deux bacs remplis d’eau : sur l’un était écrit « océan Atlantique », sur l’autre « océan Pacifique ». J’avais les larmes aux yeux.

Vous avez longtemps vécu aux États-Unis, comment voyez-vous l’Amérique de Donald Trump ?

Jean-Paul Dubois : Je crois que le monde devrait s’arrêter le jour où un type se lève et dit qu’il va acheter le Groenland. Mais on continue. Je ne suis pas surpris par la personnalité de Trump car il existe des milliers de gens comme lui, partout, j’en ai rencontré. Ce qui me sidère, c’est que d’autres pays acceptent de traiter avec lui, avec Bolsonaro, Salvini, avec Johnson qui ferme le Parlement… Essayer de négocier avec eux, c’est essayer de négocier avec la folie. Parfois, je pense à la phrase de Tony Montana, dans Scarface : « Je veux le monde et tout ce qu’il y a dedans », sauf que Tony Montana était plus rationnel. La démocratie est en train d’élire ses propres tyrans, ses monstres.

Face à ce basculement du monde, Paul Hansen s’enfuit, est-ce la seule solution ?

Jean-Paul Dubois : Il a perdu sa mère, son père, son travail, sa femme, les gens et le monde qu’il aimait. Il a fait de la prison, sort et revient au Danemark, dans le pays où son père est né. La seule chose qu’il peut dire c’est : « Je suis le fils de mon père. » C’est très noir, cela équivaut à une forme de fin de vie, dans un endroit qui symbolise la fin du monde. Skagen est le point extrême du Danemark : après, ce sont les eaux.

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