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Girl Edna O’Brien, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat Sabine Wespieser éditeur, 256 pages, 21 euros
La romancière irlandaise Edna O’Brien, qui a enduré le rejet familial et social, s’est mise du haut de ses 89 ans dans la peau d’une jeune fille africaine en proie à l’horreur du rapt.

La littérature peut tout. Ainsi l’Irlandaise Edna O’Brien, 89 ans, qui a connu, entre autres personnalités, James Joyce et Samuel Beckett, se met aujourd’hui dans la peau d’une écolière nigériane de 14 ans, rescapée de la secte de Boko Haram. La prouesse consiste à nous persuader qu’il s’agit d’un témoignage vécu. « J’étais une fille autrefois, écrit la petite héroïne au début de l’ouvrage. C’est fini. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. » Edna O’Brien a certes rencontré des jeunes filles, parmi les 276 enlevées en 2014 par les djihadistes de la secte. À 88 ans, elle s’est rendue deux fois au Nigeria, est allée dans des camps, a écouté, tenu des mains et pris des notes. Son talent et sa vertu d’empathie ont suppléé au mutisme des victimes.

Un quotidien d’épouvante

Girl  nous entraîne au cœur de la forêt sinistre où les écolières sont parquées comme du bétail après avoir été enlevées. Le livre s’ouvre sur le rapt : des hommes cagoulés, déçus de ne trouver dans le village visé ni garçons ni diesel, se rabattent sur les filles. S’ensuit la description du camp, loin de tout ; murs d’argile semés de barbelés, minaret au toit d’aluminium, drapeau noir hissé sur un mât, hijab d’« un bleu morose » imposé (les anciens habits sont brûlés au diesel), omniprésence de l’émir et de gamines extatiques retournées par l’idéologie fanatique. Très vite, face à l’ignorance de ce à quoi elles vont être soumises, c’est un quotidien d’épouvante. L’une a la langue coupée, viols et dépucelages à la chaîne au milieu de la place, sur une table roulante avec un seau en dessous, lapidation en public… Les faits sont bruts. Le style aussi. Le temps se compte en ventres qui s’arrondissent. Si c’est un garçon, le camp est en fête : vive le futur combattant ! Maryam, l’héroïne, enceinte, désespérée, ne peut même plus prier « dans sa vieille langue », écœurée par une indigestion de sourates au goût de haine. Le pire reste à venir. Accablée par une sarabande d’horreurs renouvelées, préposée à la découpe de la viande de brousse pour l’élite et les subalternes, irrémédiablement seule au milieu d’autres solitudes, elle s’évade avec Babby (nom générique), son enfant. La voici au fond des bois. Le récit, alors, littéralement halluciné, sort de ses gonds, la syntaxe s’enflamme et les mots quittent leurs lignes au tracé bien trop sage. Écriture du cataclysme intérieur, à la lisière de l’indicible.

Près du poste militaire, Maryam découvre une coupure de journal. Elle y apprend que « plus de 2 millions de personnes ont fui leur maison, 1,9 million sont actuellement déplacées, 5,2 millions n’ont pas de quoi manger ». Le retour à la vie « normale » a lieu via un parcours administratif parfois burlesque. Le pire l’attend aux portes de son village : lorsqu’elle se trouve en butte au rejet massif des siens, y compris de sa mère, qui « pousse des soupirs gigantesques ». En un éclair, la victime est jugée coupable et son enfant est dit de « mauvais sang ». Edna O’Brien rappelle là sa propre histoire. En 1960, à l’âge de 30 ans, dans une Irlande catholique et nationaliste, elle fut mise au ban de la bonne société, après la publication de son premier livre, les Filles de la campagne, brûlé en place publique. On lui reprochait la description crue de la vie sexuelle de ses personnages. Sa mère ne lui adressa plus jamais la parole. Edna O’Brien reproduira cette violence matriarcale dans  les Petites Chaises rouges (Sabine Wespieser, 2015). De génération en génération et sous d’autres cieux, cette grande romancière ne cesse de réitérer sa hantise du rejet familial et social, dans une langue anglaise qu’on sent de haute maîtrise jusque dans la traduction. Ce livre, qu’elle a arraché à son grand âge et à la maladie, rend admirablement compte, grâce à un effort d’imagination hors du commun, d’un carnage intime trop souvent vécu dans le silence.

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