Disparition. Une grande voix d’ébène s’est tue à jamais
Le Metropolitan Opera pleure sa soprano Jessye Norman, décédée à New York des suites d’une septicémie consécutive aux complications d’une blessure à la colonne vertébrale. Après avoir remporté 5 grammy awards, elle confiait : « Je ne me souviens pas d’un moment dans ma vie où je n’ai pas été en train d’essayer de chanter. » Née en 1945 à Augusta, une petite ville de Géorgie – État du Sud américain ségrégationniste qui a vu naître Martin Luther King –, Jessye Norman est fille de musiciens militants pour les droits civiques. D’une famille de cinq enfants, elle s’initie à l’âge de 4 ans aux traditionnels Spirituals joués dans les églises de son district. Jeune femme noire dans le milieu de la musique classique essentiellement réservé aux Blancs, elle décroche à 16 ans une bourse pour l’université d’Howard à Washington.
Lauréate d’un concours international qui la conduit en Allemagne de l’Ouest, elle est recrutée à 23 ans au Deutsche Oper Berlin. Cinq ans plus tard, elle débute à Paris dans Aïda, de Verdi. Durant une décennie, ses performances remarquées l’installent sur les plus grandes scènes d’opéra du monde (Berlin, Florence, Paris, la Scala de Milan…). Elle revient aux États-Unis dans les années 1980, pour triompher au Metropolitan Opera. En 2009, elle reçoit la médaille nationale des arts des mains du président Barack Obama. Dans ses mémoires publiées en 2014, elle relate notamment des actes de racisme auxquels elle a été confrontée dans son enfance et au cours de sa vie de femme. Particulièrement concernée par la condition des artistes des milieux défavorisés, elle avait créé dans sa ville natale une école de chant gratuite pour les plus démunis.
L’Afro-Américaine Toni Morrison, prix Nobel de littérature, qui s’éteignait le mois dernier disait d’elle : « La beauté et le pouvoir, la singularité de la voix de Jessye Norman, je ne me souviens pas d’autre chose de semblable. » En France, son interprétation de la Marseillaise lors des commémorations de la Révolution française en 1989, avait marqué. Elle était apparue, place de la Concorde, drapée d’un drapeau bleu-blanc-rouge. Spécialiste de la musique des XIXe et XXe siècles, elle a hissé au plus haut niveau les compositeurs allemands et français dans un répertoire allant de Wagner à Poulenc, en passant par Mahler, Bartok, Schönberg, Janacek, Strauss et Rameau. Immense voix de l’art lyrique, Jessye Norman aura participé avec force à rendre l’opéra populaire à travers le monde.