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Hôtesses d’accueil. « Si tu te plains, on t’explique qu’il y en a 50 derrière comme toi »
Depuis un mois, la révolte gronde dans l’industrie de l’accueil. Avec #pastapotiche, les hôtesses dénoncent les violences sexistes. Derrière les sourires forcés se dessine un quotidien de précarité et de pratiques abusives. Enquête.

La scène racontée par Marie (1), hôtesse depuis trois ans pour plusieurs agences parisiennes, a quelque chose de dystopique. « Il y avait une quarantaine de filles dans la pièce, raconte la jeune femme. On a dû toutes se lever tour à tour et se présenter en une minute. C’est impossible de sélectionner sur autre chose que le physique avec ce genre d’entretien, et on voyait les dossiers se séparer en deux piles sans connaître vraiment les critères – même si on peut les deviner… » Ainsi se déroulent les entretiens d’embauche chez Mahola, un des poids lourds du secteur. Une pratique discriminatoire ? Sans aucun doute. Comme il en existe beaucoup dans le monde de l’apparence et sans scrupule de l’industrie de l’accueil.

Depuis un mois, l’épais verni commence à se craqueler. Dans la foulée de la polémique sur les hôtesses du Tour de France, un mouvement de révolte s’est monté sur les réseaux sociaux. Regroupées sous le #pastapotiche et via le compte twitter @pastapotiche, de plus en plus de jeunes femmes dénoncent la violence sexiste qu’elles subissent de la part des publics dans les différents salons et autres événements d’entreprise. Il y a les remarques misogynes et autres agressions – pas que verbales. Il y a cette contrainte de véhiculer l’image stéréotypée de la femme-objet, apaisante, désirable et dispo­nible. Mais il y a aussi, derrière les sourires obligés, un quotidien de précarité où les jeunes filles, souvent étudiantes et isolées, doivent faire face à des pratiques abusives à toutes les étapes de leur travail.

Dès l’embauche, comme on l’a vu. Lorsqu’on postule dans une agence d’hôtesses, le dossier à remplir contient des données classiques : adresse, date de naissance ou encore langues parlées. Et d’autres qui le sont moins : taille, poids, ou encore mensurations et, évidemment, photo obligatoire. Dans une industrie de services qui propose des jeunes femmes (90 % des salariés) pour accueillir du public, l’apparence est centrale et très policée. Certaines agences iraient même jusqu’à se spécialiser officieusement dans un « type » d’hôtesses. « C’est connu entre nous, chez Florence Doré, ce sont les blondes aux yeux bleus ; chez Charlestown, les brunes aux yeux marrons », assure Camille, une ancienne hôtesse. Côté taille, il faudrait faire 1,70 m au minimum pour entrer dans les agences les plus connues.

Tenue d’écolière hyper­sexualisée

Cette sélection sur le physique s’accompagnerait souvent de discrimination raciste. Les hôtesses l’évoquent systématiquement. À Léa, hôtesse d’origine est-asiatique qui postulait chez Florence Doré, on a répondu que « son physique ne correspond pas aux standards de l’agence ». Une autre hôtesse d’origine maghrébine assure n’avoir « jamais vu quelqu’un qui (lui) ressemblait sur des missions ». Une employée de son agence lui a répondu que « les Arabes, les clients n’aiment pas, ils n’ont pas confiance, donc on n’en veut pas ». Marie a aussi été témoin de ce racisme ordinaire. Pendant un salon, une hôtesse devait apporter un prix sur une estrade. Une jeune femme noire avait été choisie par la cheffe. Le client l’a refusée au prétexte que ses collants n’étaient pas de la même couleur que ceux des autres… « J’ai vu des filles se faire refuser parce qu’elles avaient des tresses africaines ou des afros, poursuit Marie. Tes cheveux doivent être parfaitement lisses. » Léa raconte une expérience avec l’agence parisienne Norela, durant laquelle elle a dû porter une tenue d’écolière japonaise hyper­sexualisée avec minijupe plissée et couettes, tandis que ses collègues caucasiennes avaient un tailleur et un chignon classiques.

Dans ce monde, il y a aussi l’injonction à la minceur, comme dans le mannequinat. Les dressings des agences n’ont souvent pas de vêtements au-dessus du 40, les talons sont obligatoires, tout comme les collants « pour uniformiser les jambes ». Marie avait reçu une offre où un client exigeait des filles d’un 1,70 m uniquement, et pas au-dessus du 36, pour qu’aucune ne dépasse lorsqu’elles sont alignées. « C’était pour une marque de baskets, les filles devaient être en legging ou en mini-short. Je n’ai pas été prise car je mesure 1,68 m et que je fais du 38… » L’apparence des hôtesses est contrôlée, de leur tour de poitrine à la couleur du rouge à lèvres – « celle du logo de l’agence » –, en passant par les escarpins, les collants, les cheveux… Souvent, elles doivent retirer leurs lunettes, même si elles ont une mauvaise vue ! L’obligation de porter des talons est autorisée par la loi, selon la définition décidée par l’employeur de ce que doit être une « tenue correcte ». Camille est arrivée une fois sur son lieu de travail avec un certificat médical expliquant qu’elle ne pouvait pas en porter. Elle comptait mettre des ballerines, son contrat stipulant « escarpins ou ballerines noires ». Mais sur place, impossible. Elle a été renvoyée chez elle, perdant une journée de salaire.

Une fois embauchées, même si elles répondent aux exigences des agences, les hôtesses dites  événementiel font face à une grande précarité et de nombreuses contraintes. Les plages horaires peuvent être très larges. Au musée du Quai-Branly, l’été dernier, les hôtesses du cinéma en plein air ont enchaîné 13 heures de mission, entre 19 heures et 8 heures du matin. Mais parfois, les prises de poste ont lieu avant le début du fonctionnement des transports en commun, très tôt ou très tard. Or, il est rare que les agences payent plus de 10 euros de frais de taxi à des hôtesses habitant pour beaucoup en lointaine banlieue.

Les arrangements avec la loi sont légion. De nombreuses hôtesses évoquent le non-respect des 11 heures réglementaires entre chaque période de travail, notamment lorsqu’elles exercent sur des salons, arrivant bien avant l’ouverture et repartant après la fermeture, et ce, plusieurs jours d’affilée. En dépit d’une convention collective déjà très permissive (lire ci-contre), certains prestataires n’hésitent pas à proposer des missions de 12 heures par jour, scindées en deux contrats de 5 h 30 chacun. Pourquoi 5 h 30 ? Car l’agence n’a pas à fournir de panier-repas, ni à payer les heures de pause, comme la loi l’oblige à partir de 6 heures de travail… Parfois, les dérapages vont plus loin. À Grenoble, une agence, fermée depuis, était pointée du doigt pour avoir employé des mineures sans les déclarer. À Paris, une autre agence, réputée « habituée des prud’hommes », pratiquerait des « faux CDD », selon une ancienne employée. En clair : elle embauche en CDI pour un remplacement, puis rompt systématiquement le contrat durant la période d’essai. Sans avoir besoin de payer les indemnités de précarité liées au CDD…

Au quotidien, beaucoup d’hôtesses font plus que de l’accueil. « Traduction, manutention, service, animation… nous avons dénombré 11 catégories d’emplois qui ne sont pas celles de leurs contrats », déplore Emmanuelle Levignac, responsable de la commission femmes et mixité de la CGT des Sociétés d’études. Souvent, les agences interdisent à leurs employées de s’asseoir, de boire de l’eau, ou d’aller aux toilettes – pratiques ­illégales mais peu contrôlées. « À l’aéroport Charles-de-Gaulle, une chaise est à côté des hôtesses en cas de visite de l’inspection du travail. Mais elles ont l’interdiction – orale – de s’asseoir », raconte un agent de sûreté.

« On craint surtout la blacklist »

Autre pratique : des tenues inadaptées, au climat notamment. En plus des robes hypersexualisantes des salons ou du Tour de France, certaines doivent travailler en tailleur l’hiver. « J’ai fait l’accueil des matchs de rugby à Grenoble, raconte Alice. À 22 heures, en talons, c’est rude… » D’autres, au contraire, ont dû effectuer des journées de 8 heures en tailleur en laine au Salon de l’aéronautique pendant une canicule et sans bouteilles d’eau. Bilan : une demi-douzaine de malaises, que l’agence a refusé de déclarer en accidents du travail ! Même abandon face au harcèlement sexiste et aux violences qu’elles subissent. Anaïs, ancienne hôtesse, a été agressée sexuellement sur un salon par un client. « Lorsque j’en en ai fait part à mon agence, celle-ci m’a demandé à quelle heure… je comptais arriver le lendemain ! À aucun moment, elle s’est inquiétée des répercussions sur ma santé ou de savoir si j’allais porter plainte. » Dans ce monde-là, le client est roi. Et l’hôtesse isolée. « La plupart d’entre elles ne savent même pas où se trouve le siège social du prestataire », constate Emmanuelle Levignac.

Une réalité qui rend difficile toute mobilisation. Les agences le savent. Et jouent de la précarité de cet emploi où les jeunes femmes doivent se précipiter pour répondre à un mail envoyé à 200 personnes et espérer travailler quelques heures, rémunérées au minimum légal. Le contrat est un simple CDD d’usage. « On croise rarement deux fois la même collègue, on n’a pas le temps de discuter, et surtout, on craint la blacklist », raconte Alice. Cette pratique d’éviction ne constitue pas un licenciement, les hôtesses dites événementiel ayant un contrat par mission, contrairerement à leurs collègues en entreprises souvent en CDD, voire en CDI. Les agences ne donnent simplement plus de mission à celles qui sortent du rang, qu’elles n’aient pas porté leur rouge à lèvres, refusé les avances d’un client ou réclamé leurs heures supplémentaires.

Les agences jouent de cette peur pour maintenir les hôtesses dans leur précarité. Les syndicats peinent à leur venir en aide, regrette Emmanuelle Levignac. « Il s’agit pour beaucoup d’étudiantes qui ne connaissent pas leurs droits et ne pensent pas au syndicat, rappelle la responsable CGT. L’accueil n’est pas leur métier mais un job alimentaire. » De plus, le milieu luxueux des événements n’est pas le plus propice à la revendication de classe. Emmanuelle Levignac et les hôtesses de #pastapotiche tentent de briser cette omerta. Et souhaitent se rapprocher des mouvements féministes en organisant une manifestation autour du 8 mars. D’ici là, la ministre du Travail Muriel Pénicaud aura peut-être répondu à la demande de « plan d’urgence » contre le sexisme dans cette profession. Et, sait-on jamais, les agences seront sorties de leur silence. Contactées, Florence Doré, Charlestown, Mahola et Norela n’ont toujours pas répondu à nos sollicitations.

(1) Les prénoms ont été modifiés.
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