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Soixante ans que l’écrivain a cassé sa « trompinette ». Il laisse derrière lui une œuvre foisonnante, dont le souffle poétique ne cesse d’inspirer. Retour sur quelques pistes du parcours créatif fulgurant de cet amoureux de la vie.

«J’vais t’en r’filer, d’la série noire » s’exclame le héros – l’antihéros – de la chanson de Boris Vian enregistrée en 1956 par Magali Noël (1). Quatre ans après l’explosion d’Ivy Mike, la première bombe H de l’histoire, qui, avec sa puissance de 10 mégatonnes, reléguait Little Boy (Hiroshima) et Fat Man (Nagasaki) au rayon des pétards mouillés, elle fut aussitôt interdite de radiodiffusion par la pudibonde RTF. L’ancêtre de l’ORTF n’avait pas encore vendu ses charmes électro-cathodiques aux bétonneurs et autres vendeurs de temps de « phosphore un peu mou » disponible, mais était, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plus que jamais inféodée au parti de l’ordre. Un ordre social et culturel associant Éros et Thanatos dans une danse macabre à quatre temps marquée par le bruit des bottes accrochées, pour reprendre l’expression de Jacques Prévert, à « la lanterne du bordel capitaliste » et qui semblait se rejouer la montée vers la guerre des années 1930. Boris Vian, homme et créateur aux mille « vies parallèles », selon l’expression de Noël Arnaud (2), qui ne sauraient être qu’esquissées – « Boris Vian, ça s’écrit à la trompette », chante si justement Alain Souchon (3) –, aura toujours quelques difficultés à s’adapter à lui. Mieux, il lui opposera, sans toujours être compris, soif de vivre, humour, fantaisie, sincérité et, en fait, comme en témoigne sa chanson le Déserteur, courage.

Issu d’une famille de la bourgeoisie parisienne anticonformiste et férue de culture

Zaz-zuh-zaz-zuh-zay ! « Avoir 20 ans. Vivre à l’époque la plus grandiose de l’histoire humaine et faire le zazou physiquement et moralement ! Quelle décrépitude et quelle déchéance ! » déclare Jacques Doriot devant un parterre de membres de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme gominé à la moraline Maginot rassemblés au Vél’ d’Hiv en avril 1944. Il finira en gruyère auquel « il ne reste que les trous », sur un chemin qui ne mène nulle part du Bade-Wurtemberg. Message reçu cinq sur cinq, mon lieutenant, par le jeune Boris Vian, 24 ans, qui a fait ses premiers pas de moonwalk sur la zizique de Cab Calloway, de Duke Ellington et de Louis Armstrong avant guerre et qui finit son roman Vercoquin et le Plancton. Publié en 1946, il projettera le jeune poète, écrivain, critique, peintre, dramaturge et musicien sous la lumière des projecteurs.

Né le 10 mars 1920 à Ville-d’Avray, Boris Vian, fils d’Yvonne Ravenez et de Paul Vian, est issu d’une famille de la bourgeoisie parisienne anticonformiste et férue de culture. Avec ses deux frères Lélio et Alain ainsi que sa sœur Ninon, il passe son enfance entre la villa de famille de Ville-d’Avray et la propriété de ses grands-parents maternels à Landemer, dans le Cotentin. Ses paysages, sentiers longeant la falaise à la « flore diverse à peu près comme des bouchons de carafes » dansant « au bruit doux et rauque des vagues », se retrouveront dans l’Arrache-Cœur. Une vie passée dans l’aisance tout d’abord, jusqu’au krach de 1929, plus chichement ensuite, le père de Boris ayant perdu une partie de sa fortune en placements risqués. Aux grands vents dans un premier temps, à couvert ensuite, sous « peau de bique », le diagnostic à l’âge de 12 ans d’un rhumatisme cardiaque, entraînant ses parents à le surprotéger, et l’armée française, plus tard, à le réformer. Dans l’insouciance aussi, jusqu’au décès tragique de son père, assassiné dans la maison familiale fin 1944. Son parcours scolaire, du collège de Sèvres à l’École centrale des arts et manufactures, en passant par le lycée Hoche de Versailles et le lycée Condorcet de Paris, fera de lui un ingénieur brillant, employé de l’Association française de normalisation, qui profitera de ses émoluments pour fréquenter assidûment les bals pour GI’s et, bientôt, les caves de Saint-Germain-des-Prés.

La passion de Boris Vian pour la musique et, en particulier, pour le jazz – sa mère, musicienne, a choisi son prénom, en référence au Boris Godounov de Moussorgski – se développe pendant son adolescence. Il côtoie le jeune violoniste prodige Yehudi Menuhin, dont la famille s’installe dans le voisinage des Vian entre 1930 et 1935. Son père lui offre sa première trompette alors qu’il a 14  ans et fait construire une salle de bal au fond du jardin de la maison familiale. C’est dans ce lieu dédié à la musique et aux surprises-parties que les trois frères Vian et quelques amis fondent leur premier orchestre de jazz et donnent leurs premiers concerts. En 1937, Boris adhère au Hot-Club de France, dont le président d’honneur est Louis Armstrong. Pendant la guerre, concerts et surprises-parties continueront dans la maison où les Vian s’exilent, à Capbreton, puis à nouveau à Ville-d’Avray.

La rencontre de Boris Vian et de Michelle Léglise, avec qui il se marie en 1941 et avec laquelle il aura bientôt deux enfants, accentue sa vocation. Les jeunes mariés fréquentent le Pam-Pam des Champs-Élysées, haut lieu de la vie zazou parisienne. Michelle lui enseigne l’anglais, qu’il assimile en six mois, faisant de lui rapidement un traducteur recherché. Elle est aussi le témoin de la phase la plus active de son écriture romanesque. Celle-ci aboutira notamment, parmi les dizaines de manuscrits restés à l’état d’ébauche ou tout simplement à l’état de manuscrits, ainsi que parmi ses œuvres dramaturgiques, ses nouvelles, ses écrits critiques, ses articles et ses essais, à la publication de cinq romans « blancs » et de cinq romans « noirs » sur le plateau d’un sentiment d’échec. J’irai cracher sur vos tombes lui apportera une célébrité que compenseront largement tous les « emmerdements » qui lui furent afférents.

Sous la protection de Queneau, par l’intermédiaire de qui Boris Vian fera la rencontre de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre, l’aspirant écrivain passe tout d’abord par la grande porte en se voyant promettre la publication de Vercoquin et le Plancton chez Gallimard. De ce roman qu’il a concocté pendant l’hiver 1943-1944, Boris Vian distille tout ce qui fera le sel de son œuvre à venir. En véritable figure de proue des zazous, il fait de ce mouvement la matière première de son livre et signe avec celui-ci les prémices d’un univers singulier où les mots swinguent à coups de calembours et autres jeux de langage.

Alors qu’on lui fait espérer l’obtention du prix de la Pléiade, qui récompense les jeunes auteurs en leur garantissant une entrée en fanfare, avec tambours et trompettes, dans le giron littéraire, Boris Vian entreprend la rédaction de l’Écume des jours, dans laquelle il met toute sa ferveur. Retraçant l’histoire d’un jeune couple idéaliste, Chloé et Colin, qui doit faire face à la maladie – cet inaltérable nénuphar qui envahit le poumon de Chloé n’étant d’ailleurs pas sans rappeler la maladie de cœur dont souffre Boris Vian –, l’écriture du livre est une prouesse d’onirisme. Écrit en à peine trois mois, il affirme son style. Tablant sur l’absurde par le biais d’une verve jubilatoire qui joue et jongle avec les mots, le livre, mettant en scène le fameux Jean-Sol Partre témoigne du foisonnement d’une imagination iconoclaste. En avant-propos, l’auteur livre au lecteur son parti pris esthétique. Rendant un hommage à « l’amour » qu’il associe aux « jolies filles » et à « la musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington », il en signale aussi l’envers du décor, où « tout est laid ». Comme l’attestera par la suite l’ensemble de son œuvre, pour lui, la fiction n’est autre qu’un moyen d’atteindre la vérité par le biais d’une projection de la réalité en « atmosphère biaise ».

Écrit en quinze jours seulement, J’irai cracher sur vos tombes est un véritable coup de théâtre

Malgré sa notoriété grandissante comme icône de la vie de Saint-Germain-des-Prés aussi bien côté caves et boîtes que côté Flore et Temps modernes, cette œuvre, par laquelle il se projetait en grand écrivain, lui fait essuyer son premier revers littéraire, le prix tant espéré lui passant sous le nez. Cet épisode ne sera pas l’augure d’un renoncement. À l’été 1946, la même année de son camouflet, il se lance le pari d’écrire un best-seller à la manière du roman noir américain. Écrit en quinze jours seulement, J’irai cracher sur vos tombes est un véritable coup de théâtre.

Avec ce livre, qu’il fait passer pour une traduction d’un auteur américain inconnu, Boris Vian se dédouble. Loin de l’onirisme poétique qui parsemait l’univers de l’Écume des jours, les scènes sont ici d’une violence crue témoignant de la désillusion de l’auteur. Aussi fera-t-il dire à son personnage-narrateur que « les gens se soucient peu d’acheter de la bonne littérature ; ils veulent avoir lu le livre recommandé par leur club, celui dont on parle, et ils se moquent bien de ce qu’il y a dedans ».

Contre toute attente, le roman connaît un véritable succès. Mais la supercherie de Vernon Sullivan aura tôt fait d’être découverte, et Boris Vian de voir se détourner de lui journalistes et éditeurs. En butte au conservatisme ambiant de la société d’après-guerre, le roman est volontiers sulfureux, avec une prégnance du thème de la sexualité et une critique au vitriol du racisme de la société américaine. Il finit par faire scandale au point que la brigade mondaine sera saisie en 1949.

Ce coup littéraire, qu’il concevait plutôt comme une mauvaise blague, entachera sa réputation et éclipsera l’ensemble de l’œuvre publiée sous son vrai nom. En 1953, l’échec de la publication de son dernier roman, l’Arrache-Cœur, aura raison de l’espoir de Boris Vian de se voir un jour considéré à la hauteur de ses espérances comme un vrai romancier.

L’échec littéraire se double d’une rupture sentimentale. Il divorce d’avec Michelle en 1952. Ses problèmes de santé se sont aggravés, qui l’empêchent de jouer de sa « trompinette ». Avec Ursula Kübler, qui l’incite à se tourner vers la scène et avec qui il se marie en 1954, Boris Vian quitte Saint-Germain-des-Prés pour une chambre de bonne du boulevard de Clichy, avant de s’installer 6 bis, cité Véron, près de la place Blanche, avec pour voisins Pierre et Jacques Prévert.

Quand il écrit le Déserteur, en février 1954, la guerre d’Indochine entre dans sa phase finale

« Faut qu’ça saigne. » Tout en continuant d’écrire articles, chroniques, scénarios de films, essais, opéras et pièces de théâtre, Boris Vian s’engage dans la chanson. L’aventure durera cinq ans. Quand il écrit le Déserteur, en février 1954, la guerre d’Indochine entre dans sa phase finale. Enregistrée en mai par Mouloudji au lendemain de la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu et moins de trois mois avant la fin des hostilités entre la France et le Vietnam, elle sera enregistrée par son auteur en avril 1955. Avec les Joyeux Bouchers et la Java des bombes atomiques, les chansons « impossibles » de Boris Vian saluent à leur manière le lancement du programme nucléaire français, en octobre 1954, et le déclenchement, en novembre de la même année, de la guerre d’Algérie. S’il continue d’écrire, entre autres pour Henri Salvador, qui lance les premiers « tubes » de rock’n’roll au pays des « longues moustaches et gros dadas » et s’il l’influence en tant que critique et directeur artistique chez Philips, il devra renoncer à la scène.

Mort d’un arrêt cardiaque le 23 juin 1959, à trente-neuf ans, au cours de la projection du film, tiré de son roman, J’irai cracher sur vos tombes, qui le contraria jusqu’à une colère fatale, Boris Vian sera enterré au cimetière de Ville-d’Avray. Depuis la redécouverte de son œuvre à partir du début des années 1960, elle continue d’étonner et de séduire les esprits épris de liberté qui tirent leur charrette « sur le mauvais pavé » et ne rechignent pas devant l’impossibilité d’ « escalader la montagne de la connerie » brodés de « tabouret à glace », de « cire-godasses » et autres « repasse-limaces »« Rien n’a vraiment changé », chantait Jean Ferrat (4). Présent à l’exposition sous cloche de sapin du « crâne venteux » de Boris Vian salué par une couronne du Collège de pataphysique pour avoir – enfin – rejoint le docteur Faustroll d’Alfred Jarry « dans l’éthernité », Georges Brassens témoignera, dans les Quat’z’Arts, d’un léger changement dans les habitudes de son confrère pour digérer « bisques d’écrevisses », « rillettes de la Sarthe » et «  vache enragée » ou encaisser « d’la série noire ». Dans un poème hommage à son ami et, quelquefois, compagnon d’aquarium, 6 bis, cité Véron, Jacques Prévert écrira : « On disait de lui qu’il n’en faisait qu’à sa tête. (…) Il en faisait surtout à son cœur. » Et, poursuivant : « Il savait trop vivre, il riait trop vrai, il vivait trop fort, son cœur l’a battu. » – Oh la vache !

(1) Boris Vian-Alain Goraguer, Fais-moi mal Johnny, 1956. (2) Noël Arnaud, les Vies parallèles de Boris Vian, le Livre de poche, 1998. (3) Alain Souchon, Rive gauche, 1999. (4) Jean Ferrat, Pauvre Boris, 1967.

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