Le 29 mars 1989, François Mitterrand inaugure la Pyramide du Louvre, qui
aura fait couler beaucoup d’encre... Avec Rétro Match, suivez
l’actualité à travers la légende de Paris Match.
Jusqu'à son inauguration en 1989, la pyramide du Louvre aura donné lieu à
un psychodrame et à une bataille acharnée: on hurlera à la profanation
culturelle. Mais 30 ans après, l'oeuvre de Ieoh Ming Pei est unanimement
célébrée comme une réussite. La polémique, porté par de grandes plumes,
à travers les médias va faire rage plusieurs années. Éternel conflit
des anciens et des modernes, comme pour les colonnes de Buren, l'Arche
de la défense ou le Centre Pompidou... Tout aura commencé le 31 juillet
1981, quand Jack Lang, nouveau ministre de la Culture, écrit au
président François Mitterrand: "il y aurait une idée forte à mettre en
chantier : recréer le Grand Louvre en affectant le bâtiment tout entier
aux musées". Le ministère des Finances occupe une aile du musée, côté
Rivoli. "Bonne idée mais difficile à réaliser comme les bonnes idées",
griffonne Mitterrand sur la lettre.
"Cause toujours, ça ne se fera pas. Le puissant ministère ne se laissera
pas découronner, pense-t-on alors", commente Jack Lang. "La cour
Napoléon était un épouvantable parking. Le musée était handicapé par
l'absence d'entrée centrale. L'idée initiale était de faire entrer les
visiteurs au milieu, et de couvrir cette entrée", explique-t-il dans un
entretien avec l'AFP. "Avec François Mitterrand nous avons l'idée de
faire appel à Pei. Le président avait admiré ses oeuvres aux
Etats-Unis". Michel Laclotte "revoit la scène" de la découverte en petit
comité du projet de Pei. "Une grande maquette posée sur la table.
Dessus, on a posé la pyramide, tout le monde était séduit". Quand France
Soir publie la maquette en 1984, "c'est une explosion de hurlements",
raconte Jack Lang. Le plus sévère critique est le journaliste André
Fermigier qui, dans le Monde, parle de "Bouvard et Pécuchet dans le
Landerneau parisien", et de "la maison des morts".
L'académicien Jean Dutourd lance "un appel à l'insurrection". "Tonton
veut être le premier pharaon de notre histoire", se moque le Canard
Enchaîné. Michel Guy, ancien secrétaire à la Culture prend l'initiative
d'une pétition. Trois historiens, Antoine Schnapper, Sébastien Loste,
Bruno Foucart publient un livre-réquisitoire: "Paris mystifié. La grande
illusion du Grand Louvre". La critique ne porte pas tant sur
l'agrandissement que sur l'esthétique d'une architecture contemporaine
dans un décor Napoléon III. "Une réunion a lieu à l'Elysée en 1984:
Mitterrand était très prudent, mais d'accord pour qu'on continue",
raconte l'architecte Michel Macary, un des principaux protagonistes du
projet. "Dans mon atelier, en secret, j'ai montré la maquette. Une
cinquantaine de personnalités ont défilé dont Catherine Deneuve, Pierre
Bergé, Gérard Depardieu, Pierre Soulages, Ariane Mnouchkine, Patrice
Chéreau, Serge Gainsbourg, Nathalie Sarraute..."
Tout au long d'énormes travaux doublés de fouilles architecturales,
"Mitterrand s'est vraiment impliqué, est allé plusieurs fois visiter le
chantier", rappelle Jack Lang. Emile Biasini, président de
l'établissement public du Louvre de 1982 à 1988, avait "réuni les
conservateurs du Louvre, concluant une sorte de Yalta: on va préserver
vos départements mais vous nous soutenez", selon l'ancien ministre
socialiste. Jacques Chirac, maire de Paris, en pleine compétition avec
Mitterrand, avait été furieux d'avoir été averti par une fuite dans les
médias. Un membre de la commission des monuments historiques aurait
transmis une image confidentielle de la maquette. "Chirac a piqué une
colère mais n'a jamais critiqué le projet. Ça ne me choque pas,
disait-il. C'est lui-même, plus tard, qui le commentera aux
journalistes", selon Michel Macary. "Chirac dira oui à une condition:
que l'on visualise dans l'espace ce que sera la pyramide. On a tendu
trois câbles. Les Parisiens, par dizaines de milliers, sont venus" en
mai 1985. "Ils s'imaginaient qu'on allait installer la pyramide de
Keops", s'amuse Jack Lang.
Le Figaro-Magazine "n'a baissé la garde
qu'à la fin", Robert Hersant demandant de pouvoir fêter l'anniversaire
du journal dans la Pyramide. "Mitterrand me dit de dire oui. Ils
allaient à Canossa", raconte-t-il. Pour son actuel président-directeur
Jean-Luc Martinez, "le Louvre est le seul musée au monde dont l'entrée
est une oeuvre d'art", et la pyramide est devenue le symbole d'un musée
résolument tourné vers l'avenir.