Histoire : C’était un 11 septembre…au Chili
Salvador Allende vient de refuser de se plier à l’ordre de Pinochet de prendre le chemin de l’exil à bord d’un avion militaire. Le président adresse son dernier message sur les ondes de Radio Magallanes : « Ils vont sûrement faire taire la radio et vous ne pourrez plus entendre le son de ma voix. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et humilier. Allez de l’avant, sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure ».
Des années de répression de masse, de tortures et d’assassinats s’annonçaient sur l’ensemble du continent latino-américain. Aux manettes, les généraux formés aux Etats-Unis et les oligarchies locales. A la coordination et l’inspiration, les gouvernants nord-américains, le « Prix Nobel de la Paix » Henry Kissinger et son maître, le célèbre affabulateur Richard Nixon. Une longue nuit de terreur s’abattait sur l’Amérique du Sud.
Objectif de Washington et de ses tueurs : exterminer les forces de gauche du continent : communistes, socialistes, révolutionnaires de toutes tendances, curés proches de la théologie de la révolution, démocrates mêmes engagés timidement devaient disparaître. Si possible sans laisser de traces, les bébés rescapés des massacres étant livrés à des militaires en mal d’enfants avec la plupart du temps le silence complice des autorités ecclésiastiques, seuls quelques évêques osant protester et le payant de leur vie comme le courageux archevêque de San Salvador, Mgr Romero. En ce temps là, le pape François, chef des Jésuites en Argentine, ne pipait mot. Les persécutés franchissant les frontières, il fallait trouver une parade : le « Plan Condor », du nom du célèbre oiseau de proie des Andes, était mis en place.
26 novembre 1975, 11 heures. Dans un sous sol de la police
secrète à Asunción au Paraguay, la « coordination » regroupant les
représentants des dictatures d’Argentine, du Chili, de l'Uruguay, du
Paraguay, de Bolivie, du Brésil et du Pérou s’installe. Autour de la
table, le général Manuel Contreras, chef de la police secrète chilienne,
le capitaine argentin Jorge Casas, le major Carlos Mena (Bolivie), le
colonel Benito Guanes Serrano (Paraguay), le colonel José A. Fons
(Uruguay), et les Brésiliens Flávio de Marco et Thaumaturgo Sotero Vaz.
La CIA est représentée par deux « chefs de haut niveau » dont les
véritables noms ne sont toujours pas connus. Sur les documents de la CIA
déclassés, seuls apparaissent les pseudos avec un oubli volontaire ou
pas : les Péruviens. La réunion se prolonge jusqu’à l’heure du dîner. Le
plan ficelé, le repas pris, chacun reprend le chemin de la capitale des
pays respectifs. Le massacre pouvait commencer.
Peu de temps après, la vague de tortures et de meurtres démarre sur
l’ensemble du continent. Elle durera près de dix ans. Parmi les
victimes, Orlando Letelier, ancien ministre des Affaires étrangères du
Chili et l'ex-président bolivien, Juan José Torres. Bilan de l’opération
Condor : 50.000 assassinés, 30.000 disparus, 400.000 emprisonnés.
Chaque dictature, au delà des pratiques courantes, a ses préférences
répressives et de mort : en Argentine, les prisonniers sont jetés à la
mer depuis les hélicoptères ; en Uruguay et au Paraguay, la torture est
poussée jusqu’au raffinement avec un goût prononcé pour la baignoire et
la découpe de membres. Au Chili, la technique de la « disparition » pure
et simple devient monnaie courante ; au Brésil, on rassemble les
familles puis, un par un, enfants, père et mère sont abattus pour faire
parler les derniers. Au Paraguay, le dictateur Strossner aime alimenter
les fauves avec de la chair humaine sortie des prisons. En Bolivie comme
au Pérou, il est courant de voir débarquer dans les villages au petit
matin des pelotons de militaires fusillant sans distinction la
population coupable de protéger des opposants.
L’horreur, dix ans durant. La barbarie planifiée depuis Washington a plongé le continent dans la nuit noire du fascisme dans le plus grand silence où presque des prétendues « démocraties » occidentales. Aujourd’hui, la plupart des tortionnaires sont morts. Leurs descendants se distinguent actuellement dans l’opposition aux gouvernements progressistes de Bolivie et du Venezuela. Quant à Trump qui a signé lundi l’ordre d’embargo contre Cuba, il n’exclut pas une intervention armée contre le Venezuela se contentant pour l’instant d’organiser avec les bourgeoisies locales la pénurie et la déstabilisation. L’impérialisme nord-américain caresse l’espoir de reprendre totalement pied en Amérique latine. Aux côtés des peuples de la région, ne laissons pas faire.
José Fort, journaliste